Après les articles biographiques généraux consacrés à la comédienne Marie Dorval, quelques articles autour de ses grands rôles et grands succès.
Et pour commencer, son premier grand triomphe au théâtre de la Porte Saint-Martin, aux côtés de Frédérick Lemaître , premier triomphe aussi pour le théâtre romantique naissant : Trente ans, ou la vie d’un joueur.
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Marie Allan-Dorval |
Quelques mots d’abord sur son partenaire : Frédérick Lemaître et le duo formé
Les deux acteurs s’étaient rencontrés lors du bref passage de Marie Dorval au conservatoire à son arrivée à Paries, et jouèrent par la suite de nombreuses fois ensemble.
La carrière de Lemaître n’est plus qu’une longue suite de succès. Sa haute stature et sa fougue séduisent les auteurs romantiques dont il devient, avec Marie Dorval et Bocage, l’un des interprètes favoris.
Après un contrat de trois ans au théâtre de la Porte Saint-Martin aux côtés de Marie Dorval, fin 1829 il prit la direction du théâtre de l’Ambigu reconstruit.
Avec Frédérick Lemaître , Marie Dorval semble avoir trouvé son partenaire idéal , confiance, complicité, sans cette rivalité qui pouvaient empoissonner les répétitions.
J Janin : “Ils étaient admirables tous les deux, ils étaient complets, ils se faisaient valoir l’un par l’autre. Ils faisaient un couple hardi, ingénieux et tout-puissant de comédiens. […]nous avons vu plus d’une fois Talma et mademoiselle Mars jouer leur rôle dans le même drame ; eh bien! entre Talma et mademoiselle Mars, ce n’était pas le mémo ensemble, ils étaient loin de s’entendre et de se prêter un mutuel appui, comme Frédérick Lemaître et madame Dorval. […] Tout au rebours, nos doux admirables bohémiens de l’heure présente, une fois lâchés dans le drame, ils s’en emparaient de toutes leurs forces, par tous les excès de l’âme, de l’esprit et des sens. Ceci fait, peu importe à madame Dorval que ce soit Frédérick Lemaître qu’on applaudisse, et rien n’importe à Frédérick Lemaître, que ce soit madame Dorval ; il ne s’agit pas d’être applaudis, chacun de son côté, il s’agit de produire ensemble, et tout à la fois, l’effet attendu. Il s’agit de donner la vie à tout un drame; il s’agit de réaliser toutes les passions et tous les rêves du parterre attentif; […]
De cette réunion de doux talents si divers, et qui se complétaient si bien l’un par l’autre, il devait résulter des drames si vivement représentés, avec tant de verve et tant d’éclat, que le souvenir en est impérissable à ce point que l’on se souvient, chose incroyable ! de la comédienne et du comédien, trente ans après que le drame oublié s’est enfoui dans les catacombes. La Fiancée de Lammermoor, par exemple, où trouver une
pièce plus oubliée, et des comédiens dont on se souvienne davantage? […]puissante en résultats féconds était cette heureuse association , que jamais l’art dramatique n’avait rencontré sa pareille. C’était la même âme en deux corps ; ils étaient poussés par la même idée, et remplis des mêmes passions. C’était bien l’homme, et c’était la femme aussi, de tous les drames qui allaient venir. Évidemment, cette jeune femme avait été créée et mise au monde uniquement pour que ce jeune homme la pût aimer, haïr, adorer, torturer, assassiner, et— morte —pour qu’il la pleurât tout à son aise, en invoquant la terre et le ciel !
Ils s’étaient produits et révélés en même temps, elle et lui, le même jour, et l’un par l’autre ; en même temps ils étaient devenus populaires ; en même temps ils avaient trouvé leur tragédie et ils avaient dressé leur théâtre. Quelle main funeste a coupé en deux ce grand comédien, qu’on appelait Lemaître-Dorval? Ce qui prouve, en effet, qu’il y avait, entre ces deux intelligences, tout un drame, c’est qu’en se divisant, chacune de son côté, a gardé une grande valeur. Jugez donc, quand ces deux forces étaient réunies, quelle force dramatique, et quelle ressource incroyable pour le poète c’était là !
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Portrait de Frédérick Lemaitre par Nadar |
Trente ans, ou la vie d’un joueur, Mélodrame en trois journées de Victor Ducange, Goubaux et Beudin .
Trente ans, ou la vie d’un joueur, relate l’histoire de trois journées, à des années d’intervalle et est donc pour les acteurs l’occasion d’interpréter quasiment trois rôles différents.
Ainsi, Amélie, le personnage joué par Marie Dorval a 16 ans au premier acte, puis 31 ans dans le deuxième et enfin 46 .
Cette pièce marque une rupture dans l’histoire du théâtre : on y représente des hommes et des femmes contemporains, en proie aux difficultés de tous les jours. On ne parle plus d’acte, mais de trois journées, petit détail qui montre bien la volonté de rupture et l’entrée dans le courant du théâtre romantique.
Georges, jeune homme de bonne famille, est possédé par le démon du jeu, qui sous les traits du perfide Warner l’entraîne vers l’abîme : voleur, parjure, faussaire, assassin. Face à lui, sa femme, la douce et pure Amélie, bafouée, humiliée, dépouillée, qui ne dévie jamais de son devoir et soutient et protège malgré lui son époux qui finit par se suicider.
Trente ans ou la vie d’un joueur dans la presse
Le Corsaire ” Le public se porte en foule aux représentations du Joueur. Chaque soir, les gendarmes sont à leur poste, placés à l’extrémité des barrières, ils ont peine à contenir les flots de la multitude qui cherchent à franchir l’entrée du théâtre; la vaste salle Saint-Martin serait une fois plus grande que pas une place ne resterait vacante” “[Marie Dorval] a saisi toutes les nuances du rôle d’Amélie avec un rare bonheur, elle a joué dans la perfection” ” [elle est] admirable, sans exagération”
Quelle joie et quelle émeute à la suivre ! Elle était toute une révolution, surtout quand cette révolution dans l’art dramatique s’agrandit et se compléta par le génie et les efforts d’un nouveau venu (on ne sait d’où il venait) qui bientôt s’appellera Frédérick Lemaître. Amis ! amis ! vous vous rappelez ces merveilleux commencements d’une émotion dramatique dont la France se doutait à peine?[…] Ce fut donc une surprise étrange, une joie inattendue, et le triomphe éclatant de la plus véhémente inspiration, lorsqu’un beau soir,
tout d’un coup, deux comédiens inconnus se mirent, en plein mélodrame , à parler la belle langue universelle, avec l’accent de tout le monde; à réciter cette prose ampoulée et redondante d’une façon simple et naturelle; à changer ce même drame, où l’on hurlait toujours, en simple comédie, en simple causerie.
Ainsi, à eux deux, ces deux comédiens bien inspirés firent une révolution complète dans l’art dramatique.
Aussitôt chacun des spectateurs, habitués à tous les glapissements du mélodrame, à tout ce fracas des voix et des paroles, de s’entre-regarder avec étonnement, ému et charmé par tant de simplicité et tant de grâce. Ajoutez que Frederick Lemaître était un beau jeune homme, bien taillé pour son art, vif, hardi, emporté, violent, superbe; ajoutez que madame Dorval avait, dans sa personne un peu voûtée , de quoi justifier les plus vives sympathies. — Elle était frêle, éplorée, humble et tremblante ; elle pleurait à merveille ; elle excellait à contenir les passions de son coeur; elle disait: Tout beau, mon coeur! Rien qu’à les voir , unis dans la même action dramatique, ces deux enfants trouvés d’un art qui va vieillissant sans cesse, et se transformant toujours , on devinait qu’ils étaient faits, celui-ci pour exprimer tous les emportements de l’âme humaine, et celle-là pour en dire les douces joies intimes et bienveillantes.
Certes, l’un et l’autre, ils faisaient un couple hardi, ingénieux et tout-puissant de comédiens ; le premier, prêt à tout briser et magnifique en ses blasphèmes, en ses violences ; la seconde, affable, humble , hardie, ingénieuse , et doucement éplorée. Il avait la force, elle avait la grâce; il avait la violence, elle avait le charme; il tenait du matamore et de la comédie ancienne, elle tenait de l’élégie et du bon père Lachaussée !
vrais représentants de sa pitié, de ses passions.
Qui pourrait dire en même temps à quel point Frédérick Lemaître et sa camarade madame Dorval étaient des comédiens populaires?
Que de pensées terribles il soulevait dans l’auditoire autour de ses vengeances ! Que de larmes elle faisait répandre à propos de ses douleurs! Comme il savait la tenir haletante et ployée humblement sous le feu sombre de son regard et sous son geste ! Elle, cependant, comme elle savait l’arrêter dans ses violences,
d’un mot, d’un geste ou d’un sourire plein de larmes!
Ils étaient admirables tous les deux; ils étaient complets; ils se faisaient valoir l’un par l’autre.
[…]
Bénédit Je ne dirai qu’un mot du dernier acte; il est impossible d’oublier ce tableau déchirant, quand on l’a vu une seule fois par Mme Dorval; elle vient lentement, avec effort et à demi brisée, elle ne dit rien, ou presque rien, quelques mots; mais l’éloquence de sa parole est tout entière dans ses traits et dans son regard; quelle douleur, quelle résignation dans le regard de cette malheureuse mère ranimant de son souffle l’enfant qui lui demande du pain et qui a froid , quel sombre désespoir dans cette voix creuse et glacée comme la tombe, quand cette voix répond « Ma fille, il n’y a rien” Avec Mnie Dorval cette scène est immense de terreur, de fatalité et de désolation. I1 semble qu’un long crêpe de deuil enveloppe le théâtre; on croit voir le lustre pâlir; on éprouve un malaise indicible, on est suffoqué, on voudrait changer de place. On a froid. Puis quand tout est fini et que l’on pense aux moyens simples et naturels qui l’ont naître tant d’émotions sublimes, on reste confondu et l’on devient impuissant à trouver des paroles qui puissent exprimer une juste admiration.
Bien loin de toutes les femmes que j’ai vues dans le dernier tableau de Trente Ans, Mme Dorval ne vise point à faire de la coquetterie dans le drame; elle se présente au public dans toute l’effrayante réalité de son personnage, et pourtant Mme Dorval est belle aussi, mais belle d’intelligence, belle d’inspiration, belle comme le génie!
D’autres pièces réunirent le duo, par exemple:
Au théâtre de la porte Saint-Martin
Le Chasseur noir, mélodrame en 3 actes à spectacle, avec Frédérick Lemaître et Théodore Nézel, GUITLY, jeune fille suisse Me Dorval., 30 janvier 1828.
1828, La Fiancée de Lammermoor , de Ducange avec Marie Dorval et Frédérick Lemaître
Au printemps 1828, ils partent ensemble en tournée, tournée qui les mènera entre autres à Strasbourg, où Marie Dorval aura le bonheur de se trouver cette fois en haut de l’affiche.
Faust, d’Antony Béraud, Jean-Toussaint Merle et Charles Nodier d’après Johann Wolfgang von Goethe
Création le 29 octobre 1828 : Théâtre de la Porte Saint-Martin (Paris)Interprétation Marie Dorval Marguerite)Frédérick Lemaître (Méphistophélès) Zélie Paul (Martha)
1829 : Rochester, drame en 3 actes et en 6 parties de Théodore Nézel et Benjamin Antier (17 janvier)
1829 : Sept Heures ou Charlotte Corday, mélodrame en 3 actes de Victor Ducange et Auguste Anicet-Bourgeois (23 mars)
1830 A l’Ambigu , dont Lemaître avait pris la direction :
Peblo, ou le Jardinier de Valence par MM. Saint-Amand et Jules Dulong Paris,Ambigu-Comique,4 mars 1830
Frédérick-Lemaître et son temps, 1800-1876 A propos de Peblo :
A nouveau à la porte Saint-Martin
en 1832 , ils reprennent Trente ans pour une série de représentations, marquées par l’arrivée d’une nouveauté en matière d’éclairage scénique : le gaz.
Et enfin : Béatrice Cenci d’Astolphe de Custine 21 mai 1833
Un beau travail de recherche sur Marie Doraval. A ce que je vois Lemaître ne lui cédait en rien. Ce qui me frappe dans tout ce concert de louanges sur le jeu de cette actrice, ce sont les mots qui reviennent souvent : simplicité, sobriété. On voit bien qu'elle intériorisait ses rôles à une époque où le jeu des actrices semblent souvent avoir été outré, du domaine du mélodrame.
c'est ce qui lui a valu d'ailleurs de ne pas arriver à se faire une place à la comédie française, trop de décalage avec ses collègues! Bonne soirée!