Avant de consacrer un article spécifique à Kitty Bell, et à d’autres grands rôles de la comédienne, retour à la biographie de Marie Dorval:
Au fil de l'article sur Tours et Culture
Marie Dorval 1832-1835
Dix ans de la vie d’une femme
La famille va d’ailleurs déménager, en quittant la proximité de la porte Saint-Martin pour la rue saint-Lazare, quartier où habitaient Dubas, Mlle Mars…
le Mariage de Figaro
Alexandre Dumas aide alors Marie Dorval à ne pas tomber dans l’oubli, elle joue dans des représentations à bénéfices, données en faveur de comédiens, à l’Ambigu, au Vaudeville, à l’Odéon…
Dans l’une d’entre elle, qui a lieu au Théâtre français, en décembre 1832, elle donne la réplique à Mlle Mars dans le Mariage de Figaro. Mlle Mars se réserve le rôle de Suzanne, tandis que celui de la comtesse revient à Marie Dorval.
Vert-vert ” […]Mme Dorval, si dramatique, si vraie, si passionnée. L’accueil fait par les spectateurs à cette précieuse actrice nous est garant qu’elle est venue là pour prendre possession de ses planches et reconnaître sa place.”
Le voleur, après la création de Lucrèce Borgia par Mlle Georges à la Porte-Saint-Martin “Mlle George ne sait pas saisir toutes les nuances d’un rôle, sa diction est haletante et forcée, elle déclame toujours et fatigue. Nous aurions voulu voir Lucrèce jouée par Mme Dorval, dont la réputation est synonyme de drame. Selon nous, elle eût été plus vraie et plus heureusement énergique que Mlle George”.
Côté famille : Gabrielle et Louise
C’est aussi à cette période que débute la liaison entre sa fille Gabrielle et le jeune poète Fontaney, liaison que Marie Dorval n’approuve pas,George Sand , que Marie Dorval rencontre à cette période, raconte dans Histoire de ma vie cet épisode:
De son côté, Louise persiste à vouloir embrasser une carrière de comédienne, mais ne manifeste guère de talent. Elle trouve un engagement dans une troupe du Nord, puis au théâtre français de Londres en 1835.
Béatrix Cenci
En dépit (ou à cause ) de se succès, Harel retira la pièce de l’affiche au bout de trois représentations seulement…
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Dans la loge de Marie Dorval, par Gavarni, Custine pourrait être l’homme à ses côtés |
Phèdre et Quitte pour la peur
Marie Dorval à la Comédie Française ( le théâtre français)
Le Figaro “Mme Dorval a découvert de très beaux élans de passion dans un rôle pour lequel l’auteur n’avait rien trouvé”.
Charivari parle des “admirables inspirations” qu’elle a eues dans un “rôle insignifiant”.
Angelo , Marie Dorval et Mlle Mars, 1835
Juste après cette fameuse création de Chatterton, pour laquelle on la couvrit de louanges (“une actrice de génie” pour Le foyer, “L’avenir du Théâtre français est dans Mme Dorval, car sans elle aujourd’hui aucun succès n’est plus possible” affirmait Art et Progrès), elle enchaîne avec celle d’Angelo, de Victor Hugo, qui va être, dans la presse, le moment fort de sa rivalité avec Mlle Hippolyte Mars; qui avait alors 56 ans, contre 37 pour Marie Dorval. Et pourtant, s’il y a bien deux actrices à l’opposé, ce sont bien elles :
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Marie Dorval |
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costume de Marie Dorval (Catarina) |
Par la suite, Marie Dorval reprit avec succès le rôle de Tisbé.
Après Angelo, le contrat de Marie Doral fut prolongé pour une troisième année à la Comédie Française, elle y joua Une famille au temps de Luther, y repris Chatterton et Les enfants d’Edouard. Mais visiblement, Marie Dorval ne trouve pas sa place au français, on ne lui propose pas de rôles, ses soucis financiers ne se règlent pas, et elle décide d’aller de plus en plus chercher représentations et donc rentrées d’argent en province.
Les tournées en province
Ces tournées font de Marie Dorval un vecteur important de diffusion du romantisme en province;
Lettre à Vigny de Rouen, août 1833 ” Ils veulent rester dans l’émotion du drame [..] J’ai fait ici une belle révolution, et ils vont devenir des romantiques enragés.”
Le docteur Guépin, une figure du socialisme en Bretagne a été conquis par son jeu “Elle est l’artiste des masses, le mandataire des femmes, elle a […] une mission à remplir […] est l’artiste révolutionnaire par excellence”.
Je reviendrai sur son rôle dans la diffusion du drame romantique dans un prochain article autour de Kitty Bell.
Mais Chatterton remportera tout de même un joli succès à Chalon comme elle l’écrit quelques jours plus tard : “L’impression de ton ouvrage a été telle que je la pouvais désirer. Toutes les femmes pleuraient, le rôle de Chatterton a été bien senti et pas trop mal joué, j’avais mon quaker de Dunkerque (sans progrès).”.
L’habitude est effet de jouer deux pièces différentes par soir, ainsi cette annonce pour une soirée à Nantes:
A Marseille, en 1836, elle profite de cette tournée pour jouer le rôle muet de Fénella, dans l’opéra d’Auber, la Muette de Portici, elle le reprendra en décembre à Lyon :
Le séjour de la grande comédienne s’est prolongé à l’extrême satisfaction du publie. Mad. Dorval, avec un répertoire assez borné, a vu la foule s’augmenter chaque jour et la verrait s’accroître encore s’il lui restait quelque temps à nous consacrer. Tant a de puissance le vrai talent, qui n’est outre chose que l’assemblage de la passion et de la vérité. Comme elle le prouve dans Clolihle , Antony. Chatterton, Henri III et sa cour, Angélo, Clolilde, Mad.d’Herrey, Kitty- Bell, Mad. deGuise, la Tisbé,Caiarina, quelles belles et imposantes, quelles touchantes et dramatiques figures, sons les traits de Mad. Dorval !… Elle est toujours le personnage, |
elle est toujours elle-même, et pointant elle est toujours, nouvelle. — Mais quel prodige plus grand encore daus celle tendre et infortunée Fenella, qui était du domaine des danseuses, et que Mad Dorval vient de transporter dans le domaine d’une excellente actrice! La douleur, les regrets, l’amour, la jalousie, la générosité, la tendresse fraternelle, l’orgueil et* le désespoir,- Ions ces sentimens si prompts, si divers-, si opposés, SJ peignent, s’effacent et renaissent a vec une Incroyable expression, Javeo une rare soudaineté , dans . tous les gestes comme dansions les traits de sa mobile phy siononlie, quiparle aussi bien queponrrail le fairesa bouche. En vérité, la Muette de Poriici a été pour elle un double triomphe, puisqu’à l’immense et légitime succès qu’elle y a obtenu, aux couronnes et aux vers qu’on lui a prodigués , est venue se joindre encore la douce satisfaction d’un bienfait ; la part qui lui revenait dans celte, représentalion étant consacrée à un artiste dont elle s’est montrée glorieuse d’améliorer le sort : Le coeur marclie toujours à l’ombre du Génie.
A Vigny “Le succès que tu sais, des acteurs exécrables, des répétitions odieuses, de la fatigue, ka vie d’auberge et le désordre de toute chose autour de moi. Des gens stupides qui me répètent exactement dans une ville ce que l’on vient de me dire dans l’autre, des figures pour moi sans nom, une lanterne magique qui passe et repasse devant les yeux. […]quel vide dans tout cela . Puis toujours des chagrins de Paris, une correspondance de chiffres, des envois d’argent dont on n’est jamais satisfait, des nouvelles affreuses de mes pauvres filles.”
C’est pendant cette tournée que sa fille Gabrielle s’éteint à 21 ans, en 1837, de la tuberculose. Ses proches choisissent de taire cette disparition à Marie, qui ne l’apprendra qu’à son retour à Paris, deux mois plus tard. C’est Vigny qui lui annoncera ce drame.
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Marie Dorval dans le rôle de Kitty Bell, par Jacques Arago,1835 |
Hernani
En 1838, elle reprend avec succès le rôle de Dona Sol dans Hernani, au Théâtre Français, rôle tenu à la création par Mlle Mars, et comme dans Tisbé, c’est un triomphe pour elle.
Pour Victor Hugo, cette reprise marque la vraie création d’Hernani et il fait de Marie Dorval la comédienne par excellence du romantisme.
L’artiste signale qu’elle avait particulièrement soigné son costume , en s’inspirant “d’un tableau de Goya qui représentait la duchesse d’Albe”.
Elle reprend en parallèle Marion Delorme, également au Théâtre Français, avec le même succès.
L’artiste ” Son rôle lui convenait à merveille. Elle l’a rempli merveilleusement”.
Elle joue ensuite à l’Odéon Le camp des croisés et Les suites d’une faute.
Son contrat avec le théâtre français se terminait le 30 juin 1838, il ne fut pas renouvelé, elle y joua une dernière fois Hernani le 28 et Marion Delorme le 30.
La Quotidienne “c’est toujours un tort de la laisser partir […] si on avait encouragé les désirs qu’elle n’a pas cessé de témoigner [….] de jouer quelques grands rôles du répertoire tragique […] et du répertoire de drame”.
Le Gymnase et les tournées
Engagée au Gymnase, en même temps que Bocage, si financièrement, les choses s’arrangent, les rôles proposés ne sont guère enthousiasmant. Elle y joue dans La Belle soeur de Duport et Laurencin. George Sand était présente pour la première, et même ma Gazette des théâtres, plus favorable au théâtre français qu’au gymnase notait qu’elle avait “assez d’inspiration pour rappeler le meilleur temps de sa réputation”.
Ce sera ensuite l’orage de Laurencin et y reçoit un accueil favorable. Janin “de cette piécette, Madame Dorval a fait un drame plein de passions, d’angoisses et de larmes. Elle a donné un sens aux mots qui n’en avaient pas et changé en cris de l’âme les phrases les plus insignifiantes.”
C’est à la fin de l’été que la rupture avec Vigny est définitive. Elle joue alors Henri Hamlin de Souvestre, qui marque le contrepied du romantisme.
Elle repart pour un eu plus de 5 mois de tournée d’octobre à mars 1839 (Nantes, Metz, l’est puis Fontainebleau, avant l’ouest et la Loire, Rennes, Angers, Nantes, Saumur …), tandis qu’ Paris, une débutante commence à faire beaucoup parler d’elle : Rachel.
Marie Dorval revient au Gymnase. Elle joue ensuite plusieurs pièces peu marquantes, telles ” La maitresse et le fiancée” drame en 2 actes / texte d’Emile Souvestre ; avec Marie Dorval (Caroline Allard), Hippolyte Tisserant (André Bernier), Madame Julienne (Madame Moirot) Théâtre du Gymnase (Delestre-Poirson, Max Cerfberr),mai 1839, ou encore Un ménage parisien.
Le proscrit, Cosima… et de nouvelles tournées
L’année suivante, en novembre 1839 elle débute à la Renaissance, salle Ventadour nouvellement ouverte sous la direction d Anténor Joly.
Un beau triomphe l’y attendait dans le Proscrit : drame en 5 actes de Frédéric Soulié et Timothée Dehay ; avec Guyon dans le rôle de Georges Bernard, Montdidier dans celui d’Arthur d’Avarenne et Madame Dorval dans celui de Louise Dubourg
Théâtre de la Renaissance (Anténor Joly), 1839-11-07
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Marie Dorval Louise |
Coupy cite à ce propos Th Gautier et J Janin “Marie Dorval est sortie radieuse de son tombeau du Gymnase. Elle même semblait douter qu’elle fût vivante encore et n’osait plus espérer de soulever l’avalanche de vaudevilles qui pesait sur elle en manière de pierre funèbre. Elle s’est retrouvée tout entière et , sans coup férir, elle est rentrée en possession d’elle même. C’est la Dorval de Pablo, du Joueur, de l’Incendiaire, d’Antony, de Marion Delorme et d’Angelo , la vraie Dorval enfin, la plus grande passion tragique de l’époque, la digne émule de Fredérick avec qui elle forme un couple dramatique assorti que l’on ne devrait jamais désunir . Voilà ce que nous avons revu l’autre soir au théâtre de la Renaissance. Nous qui pleurions notre sublime actrice à jamais perdue, quelle n’a pas été notre joie en assistant à cette résurrection inespérée. On jouait une pièce de Frédéric Soulié (…] Mme Dorval pût y remuer à l’aise avec ses allures rapides et ses bonds de lionne. Quelques situations fortes, quelques soupirs d’angoisse, quelques exclamations insignifiantes qui deviennent de magnifiques révélations de l’ âme, il ne lui en faut pas plus pour se composer un rôle admirable . […] Mme Dorval avait déjà captivé et dompté la salle des journalistes excédés, des dandies haut montés sur cravate, des actrices envieuses, des grandes dames qui ne regardent qu’elles mêmes, le public le plus dédaigneux et le plus difficile que l’on puisse imaginer . […] C’est là le talent de Mme Dorval. Elle se plaît dans les périls, elle aime les difficuttés les plus étranges, elle se joue avec le danger, l’obstacle, elle le brise, l’abîme, elle le franchit, l’impossible, elle le rend vraisemblable, l’absurde, elle y fait croire et tous ces miracles à force de passions, de cris, de plaintes , de touchants délires , à force de rage et de douleur. […] la passion de Mme Dorval est inépuisable Allez la voir cette femme délivrée de ses liens , cette lionne lâchée dans son domaine, cette affranchie de la petite comédie du Gymnase et vous comprendrez la puissance de cette femme On dit que le Théâtre Français qui a laissée partir cette femme sans laquelle le drame n’est pas possible, la retrouvant ainsi faite, l’a voulu ravoir sur le champ, à l’instant même. [il s’agit du projet de création de Cosima]
George Sand lui écrit à cette occasion “Si j’étais le Grand turc, je vous enverrais une ile de l’archipel tout en fleurs pour vous témoigner ma joie et mon bonheur de la manière dont vous avez joué hier soir”.
Ce succès lui rouvre les portes du Théâtre français, avec la création de Cosima et la reprise de Chatterton. Vigny assiste à la reprise à la Comédie-française et confie dans une lettre à Pauline Duchambge à propos de Marie dont il est séparé “Son beau et unique talent a grandi encore, par quelque chose de plus posé, de plus maître de soi dans quelques scènes, de plus fin et ingénieux dans d’autres.”
Elle collabore à l’écriture de la pièce Cosima de George Sand, créé le 29 avril 1840 à la comédie française. L’accueil en coulisses, puis de la part du public n’est guère favorable.«J’ai été huée et sifflée comme je m’y attendais. Chaque mot approuvé et aimé de toi et de mes amis a soulevé des éclats de rire et des tempêtes d’indignation. On criait sur tous les bancs que la pièce était immorale, et il n’est pas sûr que le gouvernement ne la défende pas. Les acteurs, déconcertés par ce mauvais accueil, avaient perdu la boule et jouaient tout de travers. Enfin, la pièce a été jusqu’au bout, très attaquée et très défendue, très applaudie et très sifflée.” écrit George Sand qui retirera la pièce de la scène au bout de sept représentations seulement.
Elle a joué Cosima dit Gauthier avec une grâce parfaite un grand naturel et une délicatesse de nuances qui aurait mérité un public moins turbulent . Il y avait encore là , comme naguères dans l’Incendiaire une scène de confession qu’elle jouait à ravir.
Marie Dorval reprit ensuite pour quelques représentations La Maréchale d’Ancre ,Vigny avait apporté son concours aux répétitions, avant de repartir sur les routes pour une nouvelle tournée dans le sud de la France puis à Lyon, Saint-Etienne…
A Paris, le temps du drame romantique semble définitivement révolu.
Le théâtre de la Porte-Saint-Martin a fait faillite, et change de direction, celui de la Renaissance a fermé, Rachel triomphait à la comédie française, et même si l’on reconnait ses talents de comédienne (Le Censeur “votre talent est incontestable et restera comme celui d’une artiste éminemment originale”), il ne restait plus à Marie Dorval qu’à reprendre une nouvelle fois la route, pour Amsterdam et les grandes villes de Belgique cette fois.
Elle rencontre à Bruxelles l’acteur Réné Luguet, petit-fils de la Malaga, célèbre danseuse de corde.
Caroline, la fille cadette de Marie Dorval était alors institutrice dans une famille de Preston où sa mère ira la rejoindre pour quelques jours en juillet 1841.
La tournée continue en France à Dieppe, Saint-Omer, elle y joue Angelo, Clotilde, Louise de Lignerolles, à Niort, Limoges, Poitiers…. Luguet l’y a suivie et lui donne la réplique.Après un bref retour à Paris, sans perspective de nouveaux engagements, ils repartent donner quelques représentations à Amiens, puis en janvier 1842 en Hollande puis au retour fin février à Colmar , Strasbourg et Mulhouse. A son retour, Marie Dorval fait engager Luguet au Gymnase tandis qu’elle repart seule pour des représentations en France-Comté. Caroline rentre ensuite en France, fait la connaissance de Luguet et l’épouse fin 1842.
De son côté, Marie Dorval renoue avec les scènes parisiennes, Elle reprend une nouvelle fois son grand succès Trente ans ou la Vie d’un joueur avec Frédérick Lemaître pour quelques dates à la Porte-Saint-Martin, puis à l’Odéon, Antony, avec Bocage, sans retrouver le succès d’antan. Les drames d’Hugo et de Dumas ne font plus recette, son ancien répertoire n’a plus de perspective à Paris, il lui faut élargir son domaine. Elle s’essaya au répertoire classique et joua le rôle de Phèdre , puis celui d’Hermione dans Andromaque, sans y trouver aux yeux du public le même triomphe que Rachel dont la carrière commence à prendre un essor incroyable…
Le succès devait revenir avec :
La main droite et la main gauche
La main droite et la main gauche : drame en 5 actes / texte de Léon Gozlan ; avec Marie Dorval (Rodolphine), Bocage (Major Palmer), Saint-Léon (Prince Hermann)
Odéon-Théâtre de l’Europe (Auguste Lireux), décembre 1842
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Marie Dorval Rodolphine |
L’amour maternel, un rôle qui trouve en Marie Dorval une interprète parfaite.
Gozlan lui-même reconnait que si sa pièce a eu du succès, c’est grâce à elle : ” Vous aviez ce soir là votre célébrité à imposer dans un rôle nouveau, dans un genre de rôle nouveau […] Je vous vois encore rentrer précipitamment dans votre loge après le succès foudroyant que vous veniez d’avoir au quatrième acte de la Main Droite et la Main Gauche, succès dont on n’avait pas d’exemple et qui probablement ne se renouvellera plus pour aucune actrice. Trois domestiques du théâtre vous suivaient les bras chargés de bouquets, vous souriez , vous frémissiez, vous pleuriez encore . Le rôle de Rodolphine dans la Main Droite et la Main Gauche restera comme une de vos plus belles créations et c’est tout ce qui restera de la pièce entière, j’en ai peur. Les heureux qui vous ont vue […] n’oublieront jamais vos craintes, vos coquetteries, vos impatiences, vos douleurs, vos frémissements, vos cris de mère. Pourquoi ne l’ai je pas écrit comme vous l’avez joué, mais qui peut écrire ainsi? On comprend pourquoi aux représentations qui suivent les premières, vous êtes plus calme, plus maîtresse de vous même, toujours bonne actrice, mais moins esclave de votre organisation Vous vous identifiez si bien alors avec votre rôle, pour la simplicité et le naturel, qu’il vous arrive parfois d’oublier les exigences importunes d’un public qui ne vous oublie jamais lui .
TH Gauthier ” Bocage et Mme Dorval se retrouvaient là sur leur véritable terrain .Quelque talent que Bocage ait pu déployer au Gymnase, quelque intelligence que Mme Dorval ait pu montrer dans ses excursions tragiques, ni le vaudeville ni la tragédie, ne sont leur fait. Ce sont tous les deux des acteurs essentiellement modernes, des talents fougueux ,excentriques, inégaux, tantôt le pied dans la réalité la plus triviale, tantôt le front dans le nuage de la plus haute rêverie, pleins de cris et d’éclairs soudains, mêlant le sarcasme à la passion, faisant frémir avec un accent de comédie et lançant les mots les plus terribles, absolument comme vous et moi nous les dirions dans une situation pareille. Aussi il fallait voir quelle aisance parfaite , quel aplomb consommé, quelle puissance dominatrice avait Bocage dans ce rôle, fait pour lui . Jamais peut-être Mme Dorval ne s’est élevée si haut, jamais une pluie de bouquets si épaisse n’est tombée sur une actrice, il semblait que le public dans sa cruauté d’admiration voulût l’ensevelir sous les fleurs comme Néron faisait de ses convives . C’étaient des cris et des trépignements à n’en plus finir. L’amour maternel ne saurait trouver d’accents plus pathétiques, plus touchants et plus vrais, c’est le cœur tout entier qui jaillit dans un mot, c’est tout un monde d’angoisses et de douleurs, révélé par une simple inflexion de voix . Les critiques eux mêmes, si secs d’habitude, ont trempé de larmes les verres de leurs lorgnettes.
Le Corsaire [Marie Dorval] s’est acquittée de son rôle de mère avec une supériorité sans égale. [..] Emue, passionnée, pathétique, entraînante, elle a constamment dominé son auditoire sans fléchir un seul instant, tous ses gestes, tous ses mouvements, toutes ses paroles ont été marquées du coin de l’intelligence la plus vive et du sentiment poétique le plus profond.”
Marie Dorval refuse alors une proposition de la comédie Française (pour les Burgraves d’Hugo), pour continuer à jouer cette pièce à l’Odéon, en alternance avec Phèdre, Andromaque et le Mariage de Figaro.
Cet article étant déjà bien long, j’en consacrerai un prochain à la dernière partie de la vie de Marie Dorval!